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Ensemble, comprendre l'économie autrement

Le blog économique de Max Alain Obadia

#Référendum Grec : utopie ou réalisme ?

#Référendum en Grèce :

 La population grecque est appelée à se prononcer demain sur le fait de savoir si elle accepte les propositions de la "troïka" (Commission Européenne, BCE, FMI) ou si elle les rejette.

Ces propositions sont les suivantes : 

- les créanciers demandent qu'Athènes s'engage à réaliser un surplus primaire ( excédent avant charge du remboursement de la dette) égal à 1% du PIB en 2015, 2% en 2016, 3% en  2017, 3,5% en 2018 et les années suivantes. 

- Les créanciers exigent également une réforme de la TVA (augmentation importante des taux au 1er Juillet 2015).

- ils exigent enfin une réforme des retraites applicable au 1er Juillet 2015 (et devant aboutir à une réduction des dépenses publiques de 1% du PIB), la limitation des départs en préretraite ainsi que la suppression progressive de la prime actuelle pour les petites retraites.

En contrepartie de ces réformes, l'Eurogroupe propose à la Grèce un prêt supplémentaire de 15,5 milliards d'euros, lequel, vues les échéances à venir, ne servirait qu'à rembourser une partie des emprunts en cours. 

La renégociation de la dette grecque n'est nulle part évoquée par écrit dans les propositions des créanciers. Par construction, le remboursement serait donc égal chaque année à l'excédent primaire dégagé par la Grèce.

Contrairement à ce que nous martèlent les médias, la question qui est posée aux grecs n'est pas de savoir si leur pays doit sortir de la zone euro où y rester, mais de savoir s'ils acceptent ou non ce plan. 

Le référendum de dimanche a lieu sous la pression insupportable exercée par les instances européennes. La décision de la BCE de ne pas relever le plafond des liquidités d'urgence a conduit à une asphyxie économique totale de la Grèce. Elle a ainsi contraint le gouvernement à fermer les banques lundi  et à fixer le plafond des retraits journaliers des particuliers à 60 euros. La Banque Centrale Européenne ayant coupé le système électronique de paiement intra-zone des entreprises grecques, celles-ci ne peuvent plus importer et la pénurie s'est installée encore plus fort sur les denrées de première nécessité (alimentation, médicaments, essence,..). Selon "La Tribune", les banques grecques ne disposeraient plus que de cinq cent millions d'euros de billets pour alimenter les distributeurs. Le chiffre d'affaires du commerce de détail non alimentaire aurait chuté de près de 50% en à peine 5 jours.. 

Par ces pressions, les instances européennes organisent la pénurie artificielle de liquidités en Grèce et aggravent de manière dramatique le sort de la population. Elles comptent bien ainsi faire mettre le genou à terre à Alexis Tsipras. Le but étant, tout à la fois, de lui faire payer son "arrogance", de faire gagner le "Oui" au référendum et de faire un "exemple" destiné à prévenir toute autre velléité ultérieure de rebellion au sein de la zone euro. Nous assistons là à un véritable coup de force. C'est bien la première fois qu'une Banque Centrale (au demeurant indépendante nous dit-on) met en oeuvre volontairement des mesures organisant la crise dans un pays qu'elle a théoriquement la charge de servir et de protéger !

En agissant ainsi et en foulant aux pieds la souveraineté grecque, en interdisant l'accès à la monnaie et en coupant les moyens de paiement aux entreprises, les instances européennes se comportent de manière cynique et comme si elles avaient déjà exclu la Grèce de la zone euro.

Comme nous l'écrivions dans notre précédent article, la situation en Grèce était déjà comparable à celle d'un pays sub-saharien (le Sahel par exemple). Du fait des plans d'austérité mis en oeuvre, et depuis des mois déjà, il n'y avait plus aucun médicament dans les hôpitaux, les patients devant se les procurer au marché noir avant d'aller se faire soigner. Certaines personnes, pour manger, étaient obligées de cultiver elles-mêmes leurs légumes, quand elles avaient la chance d'avoir accès à un bout de terrain. Depuis quelques années, les jeunes fuient la Grèce en masse et la situation des personnes âgées n'est guère plus enviable. Plus de 35% des grecs vivent désormais sous le seuil de pauvreté. Le contexte était donc déjà totalement catastrophique. Avec les mesures imposées ces derniers jours par la BCE et l'Eurogroupe, il s'est brutalement aggravé.

 

                                     Image hébergée par http://uprapide.com/

 

La pression sur la population est donc maximale et la tentation de voter "Oui" afin de desserrer l'étau progresse. La "troïka" sait bien qu'elle gagne du terrain chaque jour et accentue son forcing, suivie en cela par les médias privés grecs qui font ouvertement campagne pour le "Oui".

La BCE et la Commision Européenne ont démagogiquement transformé ce référendum en vote "pour ou contre une sortie de l'euro" ce que le gouvernement d'Alexis Tsipras, favorable au maintien de la Grèce dans la zone Euro, n'a jamais envisagé. Dans ce contexte, le vote des électeurs grecs sera nécessairement dévoyé. Ceux-ci ont le choix entre deux solutions :

- soit voter "Non", et donc conserver le gouvernement actuel en risquant le chaos économique (qui ne manquera pas de résulter de l'affrontement avec des instances européennes, qui n'admettront jamais d'avoir "perdu" la partie),

- soit voter "Oui" pour rétablir un semblant de normalité économique immédiate mais en sacrifiant Tsipras et en acceptant l'austérité pour des décennies.

Après tant d'années de souffrances, il est possible que dimanche, la population épuisée par tant de temps de disette, opte pour l'amélioration immédiate des conditions de vie en votant "Oui", quitte à sacrifier la jeunesse grecque et l'avenir du pays.

S'ajoute à cela l'intoxication pratiquée par les médias qui ont fait croire à la population qu'elle avait à se prononcer pour ou contre le maintien dans la zone euro. Il est probable qu'une grande partie des grecs souhaite ce maintien mais refuse l'austérité qui lui est imposée. Ceux qui voteront "Non" répondront bien à la question posée et voteront pour la plupart contre le plan proposé par les créanciers. Quant à ceux qui voteront "Oui", il est évident que la plupart d'entre eux s'exprimera pour le maintien de la Grèce au sein de l'euro-zone. Le résultat du scrutin, quel qu'il soit, sera donc nécessairement ambigü. Sans compter les polémiques qui risquent d'émailler le résultat même du référendum.

Deux prix Nobel d'économie, Paul Krugman et Joseph Stiglitz ont d'ores et dejà appelé à voter "Non" au "plan irresponsable de la troïka". Pour Paul Krugman, l'ultimatum de la" troïka" à la Grèce n'avait pour but que de renverser le gouvernement Syriza en proposant à Tsipras un plan qu'il ne pouvait pas accepter. 

Si le "Oui" l'emporte, "la troïka" aura réussi, par son coup de force, à abattre un gouvernement démocratiquement élu et à créer un précédent qui lui permettra d'imposer l'austérité partout en Europe. Si le "Non" l'emporte, les turbulences seront telles qu'un délitement accéléré de la zone euro sera à prévoir. Dans un tel cas, la véritable bataille pour Tsipras (et pour nous) ne fera que commencer.  

Les manipulations en cours et les diverses pressions exercées n'ont pour but que d'éviter une franche victoire du "Non". Cependant rien ne serait pire, pour l'un et l'autre camp, qu'une victoire à la Pyrrhus, sans net vainqueur ou vaincu, hypothèse dont les conséquences ne sont bien sûr évoquées par aucun média et qui ne déboucherait que sur une dislocation sociale sans précédent.

De son côté, la presse européenne a, elle aussi, choisi son camp. En France, du "Monde" (voir ci-après l'interview de Thomas Piketty) à "BFM" en passant par "le Figaro", la désinformation est en marche et l'agressivité des journalistes n'a plus de limites. Ce fut ainsi le cas l'autre soir de Ruth Elkrief, transformée en procureur sur " BFM", lors d'une interview de l'économiste Jacques Sapir, partisan, pour le bien de la Grèce, de sa sortie immédiate de l'euro. Notre classe politique n'est guère plus reluisante. 

  

Mais revenons aux faits et tentons une analyse :

- l'accord intervenu il y a quelques années entre les instances européennes et la Grèce prévoyait que dès lors que ce pays enregistrerait un excédent primaire, le problème de la restructuration de sa dette serait abordé. Or, la Grèce qui affichait un déficit public de 12% en 2009 a enregistré en 2014, et pour la première fois, un excédent primaire. Malgré cela, les institutions européennes ont refusé de tenir leur engagement et le problème de la dette n'a pas été abordé. Ce reniement des accords a été vécu comme une trahison et a provoqué la chute du gouvernement grec l'an dernier, amenant ainsi Syriza au pouvoir. Il faut dire que le rééquilibrage des finances publiques grecques intervenu en 2014 a été atteint moyennant des réformes structurelles très dures qui ont conduit pendant des années à des sacrifices terribles pour le plus grand nombre, à une baisse du niveau de vie général de la population et à une contraction du PIB de l'ordre de 25%, laquelle a généré à son tour une explosion du chômage, notamment parmi les plus jeunes.

- depuis 6 mois, et contrairement à ce qu'ont affirmé Michel Sapin et Jean-Claude Junker, jamais au cours des négociations la "troïka" n'a accepté de mettre sur la table le problème de la dette. Ce, alors même que de nombreuses voix d'économistes, et même le FMI, reconnaissaient le bien-fondé des demandes de Tsipras. Le gouvernement grec, avec raison, a refusé de signer un compromis partiel qui ne portait que sur l'austérité, qui excluait toute discussion sur la dette et renvoyait ce débat à plus tard. Alexis Tsipras souhaitait en effet que les deux problématiques (restructuration de la dette et réformes structurelles) soient liées. Personne n'a jamais vu un compromis partiel se conclure favorablement, quelles que soient les parties en présence. Tous les avocats savent bien qu'une transaction destinée à être signée en deux temps ne voit que très rarement ce deuxième temps advenir, une fois le premier temps conclu. Il y a toujours un dindon de la farce : celui auquel on a promis que les problèmes qu'il soulève, et qui lui tiennent à coeur, feront l'objet de la seconde partie du compromis. Celle précisément qui est renvoyée aux calendes... grecques.

- si le ratio dette/PIB de la Grèce a augmenté, c'est principalement du fait de la contraction du PIB. Cette contraction résulte directement des mesures d'austérité imposées par la "troïka", stimulée en cela par l'intransigeance du gouvernement allemand et la mollesse des dirigeants français. 

- en reprenant à leur compte les créances des banques privées sur la Grèce, les institutions européennes ont gagné de l'argent tout en sauvant les systèmes bancaires allemand et français menacés. Elles ont en effet reprêté à la Grèce, au taux de 2 à 3%, des sommes qu'elles avaient empruntées sans intérêt. 

- on reproche aujourd'hui à la Grèce de n'avoir pas su faire rentrer l'impôt et de n'avoir pas su endiguer la fraude. Un tel argument ne résiste pas à l'analyse. Le problème de la fraude et de l'optimisation fiscale à grande échelle n'est pas qu'un problème grec. C'est un problème européen auquel la Grèce ne pourra pas faire face toute seule. C'est bien parce que le principe de la liberté de circulation des capitaux a été imposé dans l'Union Européenne sans qu'aucune convergence fiscale ait été mise en oeuvre, que les multinationales et les personnes privées les plus fortunées ont pu se soustraire à l'impôt du "pays-source" de leurs revenus et placer leur argent dans des paradis fiscaux parfois implantés au coeur même de l'Europe, comme le Luxembourg.

La Grèce ne pourra lutter contre la fraude fiscale toute seule si tous les pays constituant l'Europe ne se mettent pas d'accord pour prendre ensemble les mesures nécessaires. Il est assez comique (et même troublant) de voir que c'est le même Jean-Claude Junker, ministre des finances luxembourgeois de 1989 à 2009 (et qui a fait du Luxembourg la place forte de l'optimisation fiscale organisée) qui se permet aujourd'hui, alors qu'il a été propulsé à la tête des institutions européennes, de donner des leçons à la Grèce en termes de recouvrement de ses créances fiscales ! Il oublie peut-être qu'une partie des avoirs des riches armateurs grecs, bien entendu non déclarés au fisc, dorment au fond des coffres-forts Luxembourgeois...

- à ce jour, la Grèce dégage des excédents primaires et n'a pas besoin d'argent si ce n'est pour honorer le service de sa dette. Les sommes que la "troïka" refuse de lui prêter (ce qui a eu pour effet de créer les blocages actuels) avaient pour but de rembourser les emprunts que ce pays a souscrit auprès... de la "troïka" elle-même ! On mesure ici l'absurdité de la situation. Ceci démontre, s'il en était besoin, que si c'est le débat économique qui est mis en avant, c'est en réalité un affrontement de nature purement politique qui oppose le gouvernement grec aux institutions européennes, celles-ci ayant décidé d'en finir une fois pour toutes avec un gouvernement démocratique qui a eu l'audace de leur tenir tête. 

Sans dette, ou avec une dette restructurée, la Grèce s'auto-suffirait à elle même. En revanche, si elle était obligée de céder et de consacrer la totalité de son excédent primaire au remboursement de sa dette comme cela voudrait lui être imposé, elle serait étranglée et ne disposerait plus des ressources nécessaires pour remettre son économie en marche de manière pérenne. Elle se verrait alors condamnée à un lent étouffement pour plusieurs décennies, étouffement dont elle sortirait exsangue. Mettre ainsi la Grèce à genoux consacrerait la victoire du néolibéralisme en Europe et ouvrirait une voie royale à la montée des extrêmes droites dans tous les pays.

 

En conclusion,

Si les grecs se prononcent demain pour le "Non", il n'y aura pas de sortie inéluctable de leur pays de la zone Euro. Si une telle exclusion se produit, elle sera le fait des instances européennes qui en prendront seules l'entière responsabilité. Avec toutes les conséquences qui pourraient en découler, pour la Grèce comme pour tous les autres pays de l'UE. Les dégâts financiers, économiques et humains occasionnés aux pays de la zone par une telle attitude pourraient leur coûter bien plus cher que l'annulation totale ou partielle de la dette grecque, laquelle est par ailleurs bien dérisoire au regard du PIB européen total.

Nous expliquions dans notre précédent article ("Grèce : le "putsch" européen") en quoi les défauts conceptuels ayant présidé à la création de la monnaie unique ne pouvaient mener qu'aux difficultés et à l'impasse actuelle. L'inflexibilité des dirigeants allemands et, sous leur influence, l'intransigeance de la "troïka" (aidée en cela par les atermoiements sempiternels de la France) ont fait le reste. Comment, avec ce qui est en train de se passer, peut-on encore parler de construction européenne ? On sait désormais quelles seraient les conséquences auxquelles s'exposerait tout pays qui se hasarderait à contester la politique européenne. Dès lors que l'arme financière peut être utilisée par la BCE, sans discernement et sans aucun scrupule afin d'imposer ses décisions, plus personne n'est à l'abri. Les défauts originels constatés dans la construction de l'euro se sont transformés en arme de destructuration massive. 

Tsipras a pêché par naïveté. Il a sous-estimé la détermination des instances européennes (non élues donc sans aucune légitimité démocratique), pour faire plier les états récalcitrants au néolibéralisme qu'elles souhaitent instaurer partout. Il est en passe d'en payer le prix. Empêtré dans sa foi en la monnaie unique et son souci de maintenir son pays dans la zone euro pour obtenir un maintien des aides, il n'a pas compris assez vite la violence dont pourraient être capables ces instances pour imposer leur vision économique du monde. Ainsi, il n'a pas réagi assez rapidement au coup de force financier de Bruxelles. S'il avait été moins pris au piège idéologique de l'euro, sitôt les aides et les paiements intra-zone bloqués par la BCE, il aurait immédiatement fait émettre des certificats de paiement garantis par l'Etat afin de recréer de la liquidité et maintenir à flot l'économie grecque. L'absence de clarté dans son raisonnement sur la nature réelle de l'euro lui a brouillé la vue. L'euro n'est plus l'outil de réalisation économique du rêve européen. Il est l'arme de quelques uns pour imposer, à leur profit et à des sociétés entières, des politiques austéritaires unanimement rejetées par les populations. En ce sens, l'euro est d'ores et déjà condamné. Comme est condamnée la vision de ceux qui pensent que l'on pourra un jour le transformer de l'intérieur.

Une des solutions envisageables aujourd'hui pour pallier l'urgence serait d'organiser de façon concertée la sortie de la Grèce de la zone Euro et son retour à sa monnaie historique, dévaluée de 25 à 30%, assorti de la restructuration de sa dette. Mais nous n'en sommes déjà plus là. Le bras de fer a remplacé la concertation.

Thomas Piketty, à la fin de la vidéo dont nous venons de poster le lien sur ce blog, exhorte François Hollande à dire tout haut qu'il mettra son véto à l'expulsion de la Grèce de la zone Euro. La France est en effet, selon lui, la seule en position de s'opposer à un désastre programmé. Connaissant la témérité légendaire du gouvernement français, il s'agit vraisemblablement là d'un voeu pieux.

La tragédie grecque ne se joue hélas pas qu'à Athènes...

 

Max Alain Obadia et Jean Bernard Motte

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