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Ensemble, comprendre l'économie autrement

Le blog économique de Max Alain Obadia

#FIFA : Carton rouge!

#Le scandale qui vient d'éclabousser la FIFA est exemplaire à plus d'un titre. Il prend racine et a des conséquences sur plusieurs plans :  

- au plan économique,

- au plan géostratégique,

- au plan politique,

- au plan symbolique.

Au plan économique, les enjeux soulevés par le sport sont aujourd'hui considérables. L'accueil de la coupe du monde de football par un pays est a priori synonyme pour celui-ci, d'explosion du tourisme, d'essor commercial, d'apports de capitaux et d'une place de choix sur la scène médiatique mondiale. Ceci a évidemment un prix. Les clubs de foot, notamment en Europe, sont devenus de vraies entreprises, parfois multinationales côtées en bourse, et les regards des joueurs comme de leurs dirigeants sont tout autant fixés sur les courbes de chiffre d'affaires et de recettes que sur les lignes de buts. Les prix de transfert de certains joueurs, leurs rémunérations exorbitantes ou celles de leurs intermédiaires sont autant d'indicateurs d'une dérive qui a désormais pris une ampleur inégalée. Tout le monde se tient, des joueurs jusqu'aux entreprises de paris sportifs.

Au plan géostratégique, on peut considérer, comme Pascal Bonniface en 2014, que le football est l'un des rares phénomènes de la mondialisation qui échappe à la domination américaine. Dans ce cadre, on comprend mieux pourquoi l'affaire de la FIFA éclate à l'initiative des Etats Unis, ceux-ci tentant de reprendre la main sur un domaine qui leur échappe encore. Selon certains sociologues, le monde serait divisé entre la "planète puissance" (USA), la "planète finance"(Asie), et la "planète football" (Europe). Foot, finance et puissance seraient cependant étroitement liés entre eux, chacun tentant de faire main basse sur les deux autres. 

Au plan politique, une nouvelle colonisation serait en marche. Véhiculée par le "sport business", elle serait utilisée comme une arme de domination massive. Celle d'une Europe puissante et hégémonique sur le football mondial, achetant à bas prix (et à tour de bras) des joueurs venus de pays pauvres et les utilisant pour véhiculer une image d'espoir et d'ouverture au monde, laquelle n'est bien souvent qu'un leurre. La finalité n'étant, bien entendu et comme toujours, que le profit de quelques uns. Quand on connaît le pouvoir des images dans le monde actuel, on comprend mieux l'enjeu de certaines luttes pour se les approprier.

Au plan symbolique, la prééminence mondiale du football lui confère une légitimité sans équivalent. Etre admis à la FIFA est considéré par certains pays comme une promotion égale à celle d'être admis à l'ONU. L'organisation de la coupe du monde de football serait une arme de "soft power" autour duquel les cartes du pouvoir diplomatique et symbolique seraient rebattues, le football étant devenu un signe d'affirmation pour les pays émergents. Les 209 pays adhérents à la FIFA sont ainsi à rapprocher des 205 pays adhérents au CIO, des 188 revendiqués par le FMI ou des 193 adhérents (seulement) de l'ONU.

Avec le temps, la FIFA a pris la forme d'une organisation planétaire. Son Président est l'égal de n'importe quel chef d'état. Il n'est donc pas étonnant que l'"affaire FIFA" rejoigne aujourd'hui les scandales politico-economico-financiers les plus emblématiques de nos sociétés et éclabousse certains états, au plus haut niveau.

Au-delà d'un système qui serait celui de la corruption organisée à grande échelle, le scandale de la FIFA démontrerait au travers du sport une collusion entre le monde de la finance, celui de la fraude, celui de la politique, celui de l'évasion fiscale, celui des médias et celui des lobbies. Les droits de diffusion et la billeterie des grands évènements sportifs rapportent des milliards, sans compter les retombées économiques indirectes. Dans ce contexte, le salaire réputé astronomique de Sepp Blatter dont la presse s'est gargarisée (sans pouvoir le chiffrer précisément tant la règle de l'omerta est prégnante), serait anecdotique.

 

                                Image hébergée par http://uprapide.com/

 

L'essentiel se situerait ailleurs :

- dans les liens quasi-claniques qui existeraient entre certains membres de la FIFA et les sociétés auxquelles les droits marketing, les relations avec les sponsors et les droits de retransmission télévisuels sont concédés (recettes multipliées par 20 depuis 1998 ),

- dans le chiffre d'affaires colossal de la FIFA (5,7 milliards de dollars en 2014), 

- dans les liens qui apparaîtraient avec des mafias locales comme à Trinidad et Tobago, ainsi que dans le poids politique exorbitant de la FIFA qui est, on le rappelle, une association à but non lucratif (installée à Zurich !).

Le système "une fédération nationale = une voix" et le fait que la FIFA aurait un pouvoir discrétionnaire sur les aides qu'elle reverse aux fédérations (selon le sens de leur vote, bien évidemment) ouvrirait la porte au clientélisme, à l'achat de voix et aux manipulations en tous genres. Des systèmes de doubles billeteries auraient été mis en place et le vote pour l'organisation de plusieurs coupes du monde (passées et à venir) aurait été acheté. Des pots-de -vin circuleraient de partout. Plusieurs pays, grands médias, grands équipementiers, grands fabriquants de sodas et boissons gazeuses, organismes financiers et bancaires seraient impliqués. 

Il est symptomatique que parmi les dirigeants de la FIFA arrêtés à Zurich le 27 Mai 2015, figure son Vice-président, lequel serait soupconné d'avoir monnayé l'organisation de la coupe du monde 2018 à la Russie. Cet homme d'affaires, par ailleurs directeur de banque, est également Président de la CONCACAF ( Confédération de Football d'Amérique du Nord, d'Amérique Centrale et des Caraïbes) ainsi que Président de la Fédération des îles Caïmans dont chacun sait que si ce territoire ne dispose pas d'équipe de football de premier plan, il est néanmoins l'un des tout premier paradis fiscaux de la planète. On rappellera que, depuis 13 ans, la FIFA verse chaque année une subvention de 2 millions de dollars aux îles Caïmans pour la construction de terrains de football "haut de gamme" alors que ces îles figurent au 191eme rang mondial des nations du football.  

Les autres personnes arrêtées sont presque toutes issues de paradis bancaires, judiciaires, ou règlementaires.

L'organisation mise en évidence à l'occasion de cette affaire a tout d'un cartel : l'exclusivité concédée à certains agences de marketing pour la commercialisation des droits TV, leurs liens avec certains dirigeants de la FIFA et de grandes sociétés privées, les faux contrats sur la base desquels les commissions auraient été versées et la localisation même des comptes sur lesquels les sommes d'argent illicites auraient été virées (Lichtenstein, Suisse, Hong Kong..) sont autant d'éléments révélateurs. La porosité entre le monde du sport-business et ceux de la finance, de l'industrie, des médias et de la jet-set est ici mise en évidence . A une moindre échelle, en France, nous avions eu un avant-goût de cette porosité à l'occasion de l'affaire Tapie. Politique, sport, industrie, et finance y étaient déjà liés et intimement mêlés.

Au stade actuel de l'enquête, les vraies questions restent encore en suspens : 

- à qui profite le crime et d'où vient l'argent ? Si des commissions aussi gigantesques ont été versées, combien ont-elles rapporté en retour et à qui ?

- pourquoi l'actuel Président de la FIFA, pourtant cité dans toutes ces affaires, n'a-t-il pas encore été entendu par la justice ?

- pourquoi cette affaire n'éclate-elle que maintenant? Ce n'est pourtant pas un scoop. Quels rôles les états jouent-ils dans ce dossier ? Quelles sont les pressions qui se sont exercées pour que Sepp Blatter démissionne quatre jours seulement après sa réélection triomphale ?

- pourquoi n'existe-il pas d'autorité internationale indépendante de contrôle pour vérifier les opérations d'instances internationales comme la FIFA, le CIO, etc.. ?

- est-il normal que sur 5,7 milliards de dollars de chiffre d'affaires réalisé par la FIFA en 2014, seul 20% soient consacrés au développement du football (alors que c'est pourtant son objet social), que 21% soit consacrés à son fonctionnement interne et que l'essentiel des dépenses aille à l'organisation des coupes du monde ? La FIFA et sa direction vivraient ainsi dans un luxe indécent. Ceci est à rapprocher du fait que lors de la coupe du monde au Brésil, seuls les plus riches avaient eu le privilège de pouvoir se rendre dans les stades tant le prix des places était élevé et le marché parallèle de revente illicite développé.

Selon la ministre américaine de la justice Loretta Lynch "l'enquête montre que la corruption à la FIFA est rampante, systémique, et plonge ses racines aux USA et à l'étranger".

Avec ce scandale, nous sommes au coeur du système économique ultra-libéral actuel. Il aurait été étonnant que le capitalisme triomphant et la financiarisation de nos économies ne trouvent pas de prolongements dans le "sport-business". Il n'existe en réalité aucune frontière étanche et de principe éthique entre la finance, le sport, le show-business, les médias, la politique, l'industrie et même les trafics de tous ordres de l'économie souterraine. Le dénominateur commun à tous ces secteurs, c'est l'argent. Et le pouvoir qui l'accompagne. En ce sens, et parce qu'elle a laissé faire, par connivence ou par lassitude, notre société est devenue quasi-mafieuse.

A force de tout déréguler, elle a accouché d'un monstre. 

 

Jean-Bernard Motte et Max Alain Obadia    

 

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