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Ensemble, comprendre l'économie autrement

Le blog économique de Max Alain Obadia

#Grèce : toutes les #restructurations de dettes ne se valent pas

#La Grèce devra verser 3,5 milliards d'euros à la BCE le 20 juillet prochain au titre de la prochaine échéance de remboursement de sa dette. A l'heure où ce remboursement interviendra, nous connaîtrons déjà la manière dont aura fini le bras-de-fer opposant ce petit pays méditerranéen à l'ensemble des pays membres de l'Eurogroupe.

Dans l'instant, Alexis Tsipras demande que son pays puisse bénéficier d'une annulation de 30% de sa dette et que le solde soit rééchelonné dans le temps. Il rappelle que l'Allemagne a bénéficié elle aussi, en 1953, d'une restructuration de sa dette, restructuration sans laquelle elle n'aurait jamais connu son envol et sa prospérité actuelle.

Jusqu'ici, les dirigeants allemands, suivis en cela par les membres de l'Eurogroupe, se sont refusés avec obstination à toute renégociation, arguant que le problème de la dette grecque avait déjà été traité en 2012 et que la Grèce, avant toute réouverture d'une quelconque discussion sur le sujet, devait en priorité mettre en oeuvre les réformes structurelles préconisées par les instances européennes.

Nous voulons rappeler ici ce que fut l'accord de Londres de 1953 évoqué par Tsipras, et par lequel les alliés, tous créanciers de l'Allemagne (Etats-Unis, France, Royaume Uni) firent à cette dernière, à l'occasion de la restructuration de sa dette, des concessions extrêmement importantes. Une comparaison avec la restructuration de la dette grecque intervenue en 2012 permettra alors de saisir, de façon claire, la mauvaise foi dont font preuve les pays de l'Eurogroupe dans le débat actuel.

Car toutes les restructurations ne se valent pas, loin s'en faut. Et il y a restructuration et restructuration...

 

1 - la restructuration de la dette allemande en 1953

La dette d'avant-guerre de l'Allemagne s'élevait à près de 23 milliards de marks et sa dette d'après-guerre à plus de 16 milliards. Au total l'Allemagne devait donc environ 40 milliards de marks à ses créanciers. L'accord de Londres du 27 février 1953 a ramené le cumul de ces deux dettes à 14,5 milliards, soit une réduction de 63 %. Cet accord instaurait en outre la possibilité pour l'Allemagne de suspendre ses paiements pour en renégocier les conditions, dans le cas où surviendrait un changement substantiel limitant ses ressouces.

Aux termes de l'accord de 1953, les concessions faites par les créanciers allaient très au-delà d'une simple réduction de dette. L'idée directrice de l'accord était que l'Allemagne soit en position de rembourser le solde résiduel de sa dette sans porter atteinte à sa croissance qui devait rester élevée et en améliorant le niveau de vie de sa population.

Ainsi l'accord prévoyait-il encore :

- que la dette allemande soit pour l'essentiel remboursée en deutsche marks,

- que l'Allemagne, dont le solde du commerce extérieur était négatif, réduise ses importations en produisant elle-même les biens qu'elle importait auparavant. Les créanciers acceptaient donc de réduire volontairement leurs exportations vers ce pays. Or, ces exportationbs représentaient les 2/3 des importations allemandes. C'est donc un effort complémentaire très important qui était ainsi consenti par les prêteurs,

- que les créanciers s'engagent à stimuler les exportations allemandes afin que l'Allemagne puisse de nouveau afficher une balance commerciale excédentaire,

- qu'en cas de litige avec les créanciers, les tribunaux allemands soient compétents pour en juger. Ainsi, les tribunaux allemands se voyaient-ils investis du pouvoir de refuser d'exécuter la décision d'un tribunal étranger ou d'une instance arbitrale, notamment dans le cas où l'exécution de cette décision serait contraire à l'ordre public allemand, 

- que le remboursement de la dette soit fixé en fonction de la capacité de paiement de l'économie allemande, en tenant compte de l'avancée de la reconstruction du pays et des recettes provenant de ses exportations,

- que les créanciers  acceptent que l'Allemagne ne consacre pas plus d'un vingtième (5%) de ses revenus annuels d'exportation au paiement de sa dette. En réalité l'Allemagne consacrera au maximum 4,2 % de ses revenus d'exportation à ses remboursements. De toutes façons, et dans la mesure où une grande partie des dettes allemandes était remboursée en deutsche marks, la banque centrale allemande pouvait émettre de la monnaie pour procéder aux remboursements, c'est-à-dire monétiser sa dette en faisant fonctionner sa planche à billets, 

- que les taux d'intérêts soient fortement réduits (entre 0 et 5 %, ce qui était très bas pour l'époque).

Parrallèlement à toutes ces mesures, les Etats-Unis accordaient un don exceptionnel de 1,4 milliards de dollars à l'Allemagne (soit l'équivalent de plus de 13 milliards actuels).

Au moment de l'accord de Londres, l'Allemagne était en défaut de paiement depuis vingt ans. Pas plus que les obligations issues du traité de Versailles en 1919 ou les intérêts des emprunts souscrits sous la république de Weimar dans le début des années 1930, les emprunts souscrits auprès des alliés après 1945 n'avaient été honorés. La situation était donc bien plus pénalisante pour les créanciers que celle de la Grèce actuelle. Les dispositions très favorables du plan de Londres ont fait que l'Allemagne a pu se redresser très rapidement. Sans ce plan, elle n'aurait jamais pu financer sa réunification et devenir aujourd'hui l'une des toutes premières économies d'Europe. Il est vrai que l'Allemagne avait des atouts géopolitiques que la Grèce, hélas pour elle, n'a pas. La reconstruction d'un bloc-ouest en Europe, érigé en zone tampon entre les Etats-Unis et l'URSS présentait des avantages stratégiques qui ne pouvaient être exploités que si le rétablissement économique du centre de gravité de ce bloc, situé en Allemagne, était effectif. 

 

2 - rapprochement de cette restructuration avec celle intervenue en faveur de la Grèce en 2012.

Si l'on rapproche le plan de restructuration de la dette allemande en 1953 du plan de restructuration de la dette grecque en 2012, on observe :

- que la réduction de dette accordée à la Grèce en 2012 est infiniment moindre que celle accordée à l'Allemagne en 1953,

- que les conditions économiques et sociales accompagnant le plan de 2012 ne favorisent aucunement le redémarrage de l'économie grecque, contrairement aux mesures accompagnant la restructuration de la dette allemande d'après-guerre,

- que la Grèce s'est vue imposer des privatisations (pour la plupart en faveur d'investisseurs étrangers) alors qu'au contraire l'Allemagne s'était vue autorisée à renforcer son contrôle sur les secteurs économiques clés de son économie,

- que les dettes de la Grèce vis-à-vis des pays participant à la Troïka n'ont pas fait l'objet de reduction. Seules les dettes à l'égard des banques privées ont été réduites. En 1953, l'Allemagne avait bénéficié de réduction de la part de l'ensemble des pays créanciers, y compris ceux qu'elle avait envahis,

- que la Grèce doit rembourser en euros alors que l'Allemagne était autorisée à rembourser en deutsche marks (complètement dévalués !). Or la Grèce manquait jusqu'ici d'euros puisque sa balance commerciale affichait un solde négatif jusqu'en 2014 !

- que sa Banque Centrale ne peut pas prêter à l'Etat grec alors que la Banque Centrale allemande pouvait prêter à l'état Allemand, le cas échéant en faisant tourner sa "planche à billets",

- qu'alors que les intérêts étaient plafonnés concernant la dette allemande (entre 0 et 5 %), il n'y a pas eu de plafonnement des intérêts de la dette grecque,

- que les seuls tribunaux compétents pour juger des litiges relatifs aux nouveaux titres de dettes grecs sont les tribunaux du Luxembourg et du Royaume Uni. Dans le cadre des accords de 1953, les tribunaux compétents étaient les tribunaux allemands, lesquels pouvaient refuser l'exécution de jugements rendus par des tribunaux étrangers si leur application menaçait l'ordre public interne. La Troïka s'est en effet opposée à ce que les tribunaux grecs puissent suspendre le remboursement de la dette en avançant des raisons d'ordre public,

- que l'accord de 1953 prévoyait la possibilité pour l'Allemagne d'interrompre ses remboursements et d'en renégocier les conditions dans le cas où se produirait un changement substantiel de nature à limiter ses ressources ou ses disponibilités. La Grèce s'est vue privée de cette possibilité,

- que l'accord sur la dette allemande prévoyait que le pays puisse renforcer et stimuler son industrie et sa production locale afin de limiter ses importations. Concernant la Grèce, on rappelera que les règles en vigueur au sein de l'UE interdisent à un pays quel qu'il soit de subventionner ou de privilégier ses entreprises,

- que la Grèce est bien loin d'avoir bénéficié des dons considérables versés à l'Allemagne au terme des accords de 1953. 

Comme on le voit, la restructuration de la dette allemande en 1953 et celle de la dette grecque en 2012 n'ont pas grand chose à voir entre elles. Il n'est pas étonnant dans un tel contexte, que suite aux accords de Londres, l'Allemagne ait pu très vite renouer avec la croissance et les excédents alors que la Grèce, après les accords de 2012, se soit enfoncée dans l'austérité et dans la crise..

Les dirigeants allemands qui se sont opposés jusqu'ici à toute restructuration sérieuse de la dette grecque, à l'instar de ce qui s'est passé en 1953 pour leur propre pays, ont la mémoire bien sélective. C'est bien ce qu'Alexis Tsipras a tenté de leur rappeler.

 

En conclusion :

En agissant comme elle l'a fait jusqu'ici, et faute d'assouplir sa position dans les jours qui viennent, Angela Merkel risque, en provoquant l'exclusion de la Grèce de la zone euro, de devenir le fossoyeur de l'euro tout entier. Et peut-être même de l'idée européenne.

Le veut-elle ?

Certes, la Grèce est minuscule à l'échelle européenne. Elle pèse à peine le poids économique d'un département français. Mais l'Europe est fragile. Il est d'ailleurs symptomatique de constater à quel point ce petit pays qu'est la Grèce aura réussi, seul et sans l'aide de personne, à révéler les insuffisances de l'Europe (et surtout de sa monnaie) acculant l'Eurogroupe "dans les cordes". Qu'en serait-il demain si l'Eurogroupe se retrouvait confronté à l'Espagne, au Portugal ou à l'Italie ? 

La voie de sortie de crise pour les pays de l'Eurogroupe s'assimile aujourd'hui à une ligne de crête. Cette ligne est délicate et semée d'embûches.

Si une solution est trouvée cette semaine concernant la restructuration de la dette grecque, ce qui suppose que quelques grands de ce monde acceptent de perdre (un peu) la face et de faire des concessions financières, l'apaisement ne sera de toutes façons que temporaire. Sans refonte complète du système monétaire et remplacement de la monnaie unique par une monnaie commune, une question restera toujours en suspens : "à qui le tour demain ?"

Enfin,  si dans les jours qui viennent, les dirigeants européens décident de sacrifier la Grèce, il faut qu'ils sachent qu'ils en feront un symbole.

Dans ce cas, il leur faudra être très prudents : on ne se méfie jamais assez de la force des symboles.

 

Max Alain Obadia  

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