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Ensemble, comprendre l'économie autrement

Le blog économique de Max Alain Obadia

#Référendum grec : les conséquences d'un "Non !"

#Le peuple grec s'est exprimé dimanche. Massivement et pour le "Non".

Depuis dimanche soir, nous assistons au pitoyable spectacle de nos élites européennes, empêtrées dans leurs contradictions : les discours creux ou gênés aux entournures du type de celui de François Hollande, après son entrevue avec Angela Merkel lundi soir, voisinent avec des menaces (voilées ou pas), comme ces pseudos fuites dans la presse insinuant que tout serait déjà prêt pour une exclusion de la Grèce de la zone euro. S'y rajoutent de petites manipulations mesquines destinées à sauver la face (ou du moins ce qu'il en reste) comme par exemple le fait de demander à Tsipras de faire lui-même des propositions de sortie de crise. Ceci afin de repousser la balle dans son camp et de pouvoir lui imputer une éventuelle rupture ultérieure des négociations (si une telle rupture venait à se produire) en prétextant l'insuffisance des propositions faites. En droit on appelle cela "la préconstitution de preuves". Les tribunaux refusent en général de prendre en compte de telles préconstitutions et ils ont bien raison. Il devrait en être de même en politique. 

En réalité les dirigeants européens ont été pris à leur propre piège. Leurs menaces, rodomontades et tentatives d'asphyxier financièrement les grecs pour les faire plier ne les ont menés nulle part. Tout a pourtant été essayé, du refus de relever le plafond des aides financières d'urgence jusqu'à l'exclusion des entreprises grecques du système de paiement intra-zone afin de les empêcher de procéder normalement à leurs importations. Le but était évidemment, en créant artificiellement une pénurie de liquidités et de produits de première nécessité ainsi qu'en affâmant la population grecque, de provoquer un rejet de la politique de Tsipras, lequel aurait alors été désigné comme seul et unique responsable de la situation.

Le moins que l'on puisse dire est que c'est raté ! Toutes ces manipulations n'ont réussi qu'à radicaliser la population grecque en faveur du "Non". Non seulement celui-ci l'a emporté, mais il l'a emporté de facon massive et incontestable.

Les enseignements politiques de cette crise sont de plusieurs ordres :

1- l'incroyable campagne médiatique pour le "Oui" à laquelle nous avons assisté a révélé une presse totalement aux ordres. Ce qu'on savait déjà. Mais ce que l'on ignorait, c'est jusqu'à quel point la désinformation véhiculée par les médias pouvait aller. Nous voilà renseignés. Les supputations allaient bon train la semaine dernière dans certaines salles de rédaction et l'on spéculait déjà sur l'identité des membres du futur gouvernement de techniciens appelé à remplacer le gouvernement Tsipras dès dimanche dernier, au sortir des urnes. Certains, persuadés que le "Oui" était acquis d'avance et qui s'en frottaient déjà les mains, ont depuis largement déchanté.

2 - en à peine quelques jours, les technocrates européens ont montré leur vrai visage, ajoutant à leur incompétence (déjà connue), le déni de démocratie. L'ineffable Jean-Claude Junker n'avait-il pas répondu (sans rire) à Alexis Tsipras que "la démocratie devait s'effacer devant les traités" ? Par leur vote, les citoyens grecs l'ont en quelque sorte "renvoyé dans ses buts".

Et l'on sait désormais que les institutions européennes sont tout sauf démocratiques. 

3 - au plan politique, le seul fait qu'un référendum ait été organisé était déjà un échec pour l'Europe. Angela Merkel a cédé aux pressions de la fraction dure de sa représentation parlementaire (droite et gauche confondues) et, au delà de celle-ci, de la fraction la plus dure de son opinion publique. La France et l'Eurogroupe ont comme d'habitude suivi l'Allemagne sans broncher et n'ont pas su désamorcer la crise, tablant eu aussi (et de façon honteuse) sur un vote "Oui" au référendum. Plus inquiétant, l'Eurogroupe, en annonçant qu'il suspendait les négociations en attendant le résultat du référendum, a commis une erreur politique grave. Il s'est ainsi mis tout seul en situation de devoir négocier en position de faiblesse si le "Non" venait à l'emporter. Ceci démontre la nullité de son niveau de réflexion politique. Il était en effet très clair que si Tsipras remportait son pari, les concessions que l'Eurogroupe serait amené à faire à la Grèce seraient bien plus importantes que celles qui seraient ressorties d'un accord négocié en amont, avant que Tsipras ne soit investi de la légitimité populaire dont il peut désormais se prévaloir.

Dont acte. Ceci en dit long quant au savoir-faire des grands stratèges qui nous gouvernent.

4 - Quant à Tsipras, il a bien eu raison de placer la question posée, et objet du référendum, sous un angle strictement technique. En déconnectant cette question du problème de l'appartenance ou non à la zone euro, il s'est ainsi laissé les mains libres politiquement. Aujourd'hui, et malgré une campagne de presse scandaleuse visant à faire croire que la victoire du "Non" emporterait ipso facto la sortie de la Grèce de la zone euro, plus personne ne pense que le "Non" des grecs au référendum était un "Oui" à la sortie de l'euro. En vérité, ce "Non" est un "Oui" à une autre Europe !

Alors maintenant, quelle est la situation ?

Deux solutions sont envisageables :

1ère hypothèse, le Grexit (ou sortie de la Grèce de la zone euro) : l'aile dure de la droite européenne, qui n'a pas renoncé à laisser libre cours à ses pulsions punitives, s'inscrit dans le prolongement du diktat allemand auquel nous assistons depuis 2009 et qui a jusqu'ici été passivement soutenu par la France. Les "faucons" de cette aile droite militent en coulisse pour un Grexit immédiat alors que partout, en Europe et dans le monde, des voix commencent à s'élever afin que l'Eurogroupe s'attaque au problème de la renégociation de la dette grecque. Les mêmes voix demandent avec insistance que la BCE intervienne rapidement pour remédier à la situation d'urgence humanitaire qui s'est installée en Grèce suite à la politique d'austérité imposée par les instances européennes depuis 5 ans et suite à l'accentuation brutale des pressions financières de ces 10 derniers jours (voir à ce sujet les interventions et les pétitions d'économistes de renommée mondiale comme Thomas Piketty, Paul Krugman, Joseph Stiglitz et bien d'autres). Même le FMI, pourtant peu enclin au sentimentalisme, y est allé de son analyse compassionnelle, demandant à l'Eurogroupe de bien vouloir se montrer plus conciliant envers la Grèce. Les larmes de crocodile ne coûtent rien à personne.

Les conséquences d'une sortie de la Grèce de la zone euro seraient les suivantes :

- au plan juridique, rien n'est prévu dans les traités concernant la sortie éventuelle d'un membre de l'euro-zone. Ainsi, si sortie de la Grèce il y a, cette sortie ne pourra résulter que d'une expulsion "de fait" par les autres membres de la zone. Une telle expulsion serait donc tout à fait illégale au plan juridique. 

- au plan politique, c'est tout le fragile équilibre géostratégique péniblement construit après la guerre froide qui risquerait de se voir remis en cause. En venant au secours de la Grèce, la Russie pourrait en effet prendre pied dans l'ouest du continent européen. Par ailleurs la porte à l'immigration sauvage - que tous les pays d'Europe "bien pensants" redoutent - serait selon eux largement réouverte. Rappelons également que la situation dans les Balkans est loin d'être encore totalement stabilisée et qu'une exclusion de la Grèce de la zone euro et/ou de l'UE créerait des remous dont personne ne peut aujourd'hui anticiper les conséquences. Et que dire des problèmes qui pourraient émerger avec la Turquie si le précaire équilibre actuel venait à être remis en cause ? 

- enfin, au plan économique, la contagion pourrait rapidement s'installer. Si la sortie de la Grèce de la zone euro aboutissait, via un retour à une drachme dévaluée, à remetttre sur pied l'économie grecque, il est certain que des pays comme le Portugal, l'Irlande, l'Italie ou l'Espagne ne tarderaient pas à s'interroger sur l'opportunité de leur maintien dans l'euro, lequel ne sert que les pays du nord et disqualifie leurs économies. Surtout si les élections de fin d'année en Espagne se concluent, ce qui est fort probable, par la victoire de "Podemos", l'équivalent espagnol de Syriza. L'on pourrait alors assister à une explosion pure et simple de la zone euro. Une sortie de la Grèce, même si elle lui était favorable à terme, déclencherait néanmoins dans un premier temps une vague de spéculation dont elle pourrait faire les frais et provoquerait une montée des taux d'intérêts dans l'Europe entière, ce qui pourrait très rapidement étrangler les pays les plus endettés.    

2ème hypothèse,  la renégociation de la dette : ce serait évidemment la solution la plus adaptée à la situation actuelle. Ce, d'autant plus que les grecs ne sollicitent absolument pas leur sortie de la zone euro. Le risque pour l'Eurogroupe, en acceptant la restructuration, est cependant que d'autres pays ne soient incités à leur tour à demander que les avantages concédés à la Grèce leur soient concédés à leur tour. C'est la raison pour laquelle l'aile dure de l'Eurogroupe s'y oppose avec force. Evidemment une partie de la dette pourrait être monétisée (c'est-à-dire réglée au moyen de la "planche à billets") mais l'Allemagne s'y oppose, craignant que cette monétisation ne crée de l'inflation et que cela ne mette à mal l'épargne de ses retraités ou préretraités en ponctionnant leur pouvoir d'achat.

Les instances européennes sont donc dans l'impasse. Faute d'avoir anticipé les difficultés qui devaient nécessairement apparaître un jour ou l'autre du fait des malfaçons inhérentes à la structure même de la monnaie unique (pour plus de détails, voir notre article : "Grèce, le putsch européen"), elles doivent maintenant choisir entre 2 maux qui peuvent se résumer ainsi :

- restructurer la dette grecque et s'exposer à des demandes de restructuration en chaîne,

- opter pour le Grexit et prendre le risque de faire imploser l'euro et peut-être même l'Europe.

Autrement dit : face tu perds et pile tu perds aussi ! 

Quoi qu'il en soit, pour nous la question de savoir si la Grèce doit (ou va) sortir de l'euro est une question qui est dejà dépassée. L'euro, en tant que monnaie unique, est de toutes façons condamné. Seule sa conversion en monnaie commune (parallèlement à un retour aux monnaies nationales dont les parités seraient négociées annuellement entre partenaires européens et seraient strictement encadrées) serait de nature à pouvoir sortir l'euro-zone du guêpier dans lequel elle s'est elle même fourrée.

On attendait de la monnaie unique qu'elle provoque des convergences, une harmonisation sociale et fiscale et même, à terme, l'instauration d'un état fédéral européen. Cette convergence et cette harmonisation, pas plus d'ailleurs que le fédéralisme tant attendu, ne sont jamais venus. Croire cela, c'etait en effet faire fi de l'histoire et de la culture des peuples. La monnaie unique, instaurée en depit du bon sens, a contribué pour une large part à ce que l'Europe de la convergence et des solidarités ne voit jamais le jour.

Aujourd'hui plusieurs questions se posent : quelle harmonisation peut-on envisager en Europe si les pays qui la composent ne sont dejà pas capables de trouver une solution commune et solidaire au problème d'un tout petit pays comme la Grèce à peine aussi important que le département français des Hauts-de-Seine ? peut-on sérieusement envisager que la Grèce, sans des aides décisives et importantes, puisse un jour retrouver un équilibre économique pérenne ? Sans aides massives, il lui faudra au moins 10 ans pour construire une administration qui fonctionne et pour recouvrer normalement l'impôt. La fraude fiscale actuelle en Grèce est estimée à 15% de son PIB, soit 35 milliards/an, ce qui est colossal. L'essentiel du produit de cette fraude se trouverait placé en Suisse et au Luxembourg. Ces sommes ne reviendront s'investir en Grèce (le gouvernement Tsipras est en train de travailler à un plan "d'aide au retour" de ces capitaux "baladeurs") que si la situation du pays est une fois pour toutes stabilisée. Si l'on veut revenir rapidement à une situation normale tout en maintenant la Grèce dans la zone euro, il faut absolument et de manière urgente restructurer sa dette et procéder à des injections massives de subventions. Sans cela il n'y aura pas d'issue positive à la crise. Les pays de l'Eurogroupe le savent mais ne sont pas pressés de trancher. Cependant, et comme le dit une phrase célèbre "le temps leur mord aujoud'hui la nuque". 

Face au gravissime problème de la dette, qui est en réalité le vrai et principal problème, les mesures que l'on demande à Tsipras de prendre en contrepartie des aides qui lui seraient consenties sont des faux-semblants. Elles n'ont pour but que de "gérer l'image" en montrant au monde que les dirigeants européens n'ont pas capitulé pour rien et qu'ils ont obtenu des contreparties pour leur aide. Contreparties dérisoires certes, mais contreparties quand même. Tout est dans le symbole. 

Dans le monde de Guignol les décors sont de carton pâte, mais tout le monde feint de croire qu'ils sont vrais.

 

Max Alain Obadia

 

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