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Ensemble, comprendre l'économie autrement

Le blog économique de Max Alain Obadia

#Uber et l'argent d'Uber: #Terrorisme et démocratie

L'affaire #Uber et les actes terroristes perpétrés ces derniers jours en France, en Tunisie et dans le reste du monde arabe, sont symptomatiques de l'état de déstructuration avancé de nos sociétés. Bien que cela n'apparaisse pas évident de prime abord, ces évènements peuvent cependant être rapprochés. 

 

1. L'affaire Uber

Dans un monde paupérisé où le chômage a atteint un niveau endémique, notre société est entrée de plain pied, et avec fracas, dans une civilisation de l'échange, de la gratuité et du troc. Les affaires Uber et UberPop symbolisent cette modification fondamentale de notre contrat social et mettent en évidence un véritable choc de cultures. Elles consacrent la fin d'un monde principalement basé sur l'échange marchand et préfigurent la fin du travail salarié comme mode prioritaire de répartition des richesses.

Cette évolution s'effectue à marche forcée : covoiturage, prêts de véhicules ou d'objets entre particuliers, partages d'appartements, échanges de services (heures de bricolage, de jardinage, de gardes d'enfants, de cours,..), garages solidaires, échanges de vêtements ou de denrées alimentaires, création de monnaies virtuelles permettant de troquer marchandises et services, groupements d'achats entre particuliers afin de bénéficier de baisses de prix, plate-formes collaboratives, crowdfunding, crédit entre particuliers et même échange définitif de maisons...

Une part de plus en plus importante de l'économie s'organise ainsi en dehors des circuits traditionnels. Cette évolution est accentuée par la crise. La hausse du chômage et de la précarité réduit en effet le pouvoir d'achat des ménages, dégage du temps et libère des énergies ainsi que des disponibilités nouvelles. Les modes modernes d'échange s'installent et paraîssent déjà inéluctables. Leurs conséquences pour l'économie sont nombreuses et parfois sans appel. Un exemple parlant : la façon dont l'économie de la musique a été mise à terre en quelques années seulement via des applications de partage, de streaming ainsi que le développement des smartphones. L'outil internet, les TIC et les réseaux sociaux, servis par des algorithmes de plus en plus puissants, jouent un rôle d'accélérateur et permettent la mise en oeuvre de services inimaginables jusqu'ici.

Le problème qui est posé par ces nouveaux modes d'échange, lesquels s'apparentent à une nouvelle révolution industrielle, est que, se développant en dehors des circuits marchands traditionnels, ils se positionnent le plus souvent, hors fiscalité et hors contributions au système de protection sociale. Dès lors, et si comme on peut le penser, ces nouveaux modèles s'imposent, comment seront couverts les besoins collectifs ? Quels seront les ressources des états dans le futur si une part prépondérante des échanges résulte du troc ? Quid des répercussions sur l'emploi, déjà mis à mal par la robotisation croissante des process de production et la mondialisation des échanges ?

On ne peut qu'être consternés par l'inanité des réponses institutionnelles de nos dirigeants, lesquels vont toutes les puiser dans des modèles éculés issus du passé. Incapables d'envisager des réponses concrètes et adaptées à l'évolution sociétale en cours, ils n'ont pu jusqu'ici y répondre que par l'anathème, les menaces et les interdictions. 

S'agissant d'Uber et UberPop, on peut constater que cette application répond à différents besoins : besoin de mobilité, besoin de meilleure qualité du service, besoin de coûts plus bas et connus à l'avance (donc plus adaptés aux ressources des utilisateurs) et besoin de davantage de souplesse que celle proposée par les offres actuelles de la RATP, de la SNCF, des taxis,.. Avec des systèmes comme Uber et UberPop, ce n'est plus l'utilisateur qui va chercher le professionnel susceptible de répondre à son besoin mais le professionnel qui vient à lui. C'est là un des moteurs principaux des nouveaux services proposés sur internet. UberPop permet de plus à nos concitoyens de se procurer le complément financier nécessaire à leur survie ou au maintien de leur pouvoir d'achat que les politiques austéritaires mises en place depuis plusieurs années (et qui sont en grande partie le résultat de l'instauration d'une monnaie unique construite en dépit du bon sens) ont été bien incapables de protéger.

Compte tenu de la dérégulation totale du système, il n'est pas étonnant que des multinationales comme Uber (qui semble-t-il ne paierait pas - ou peu - d'impôts en France) engagent des bras-de-fer avec les états afin de les faire plier. L'ultralibéralisme qui gouverne les règles du commerce international joue en leur faveur. De plus, elles ont les moyens financiers de faire durer les recours en justice jusqu'à ce que leurs pratiques se soient imposées dans les faits et soient devenues incontournables. Le temps travaille donc en leur faveur. Le temps démocratique est en effet plus long que le temps financier ou celui de la spéculation.

 

                              Image hébergée par http://uprapide.com/

 

Le coup de force intenté par Uber pour imposer sa loi s'apparente à un acte de terrorisme pour lequel nos gouvernants n'ont pas de réponse concrète. Comme pour le reste.

Face à la concurrence créée par Uber et UberPop ainsi qu'à l'inertie du pouvoir politique, la réaction violente des chauffeurs de taxis était prévisible. Le choc a été frontal. Il oppose le modèle d'une nouvelle économie en cours de développement (ici manipulé par une entreprise  multinationale avide de profits et qui s'appuie sur les failles des législations propres à chaque état) à une économie ancienne que certains qualifient d"'économie de rentiers". 

Au delà de l'évolution technologique des modes d'échanges et de l'affaire Uber, ces nouveaux modèles en disent long sur ce qui travaille notre société en profondeur :

- ces nouveaux modes de partage participent à une forme de résistance nouvelle contre un système qui a instauré la tyrannie de"l'argent roi". Le troc, la gratuité ou la quasi gratuité des services sont une façon de contrecarrer un modèle économique ne conduisant qu'à l'accroissement d'inégalités sociales qui symbolisent un monde désormais moribond. Le travail dissimulé est une réponse à la violence sociale imposée par les gouvernements.

- le désir de propriété construit par le "marketing" des objets s'efface. La notion d'usage est en passe de devenir dominante. Dans un monde marqué par la mobilité et où la pérénnité de l'emploi n'est plus garantie, à quoi sert d'être propriétaire d'un objet s'il est possible de l'emprunter sans difficulté sur une plate-forme collaborative ? Le e-partage répond tout à la fois à la nécessité économique d'adapter intelligemment ses besoins à ses ressources mais aussi à celle de recréer du lien social. 

- l'idée que le travail n'est plus la valeur cardinale de la répartition des richesses s'impose peu à peu. Chacun a compris que l'ancien modèle social qui garantissait l'emploi en contrepartie de l'obtention d'un diplôme ou d'un savoir-faire est un modèle révolu. Avec près de 9 millions de chômeurs effectifs en France, le contrat social ne peut plus être basé sur la seule valeur travail et doit se réinventer. La hausse constante de la productivité, l'augmentation de la population active, la mondialisation des échanges et les délocalisations qui en découlent, ont eu pour effet d'appauvrir le nombre et la qualité des emplois disponibles. Ceci a affaibli le pouvoir d'achat et a généré du temps disponible. C'est dans ces interstices que se sont développées économie nouvelle et économie parallèle, les deux échappant le plus souvent aux règles établies. La réduction du temps de travail (proposée par certains à gauche) ou la flexibilité du droit du travail (proposée par certains à droite) sans réflexion de fond sur les nouveaux modes d'organisation sociale paraissent inadaptées pour résorber le chômage et revenir au plein emploi. Répondre par de vieilles recettes à un monde en profonde mutation produit le même effet que la pose d'un emplâtre sur une jambe de bois.

- grâce aux nouvelles technologies et applications, la circulation de ressources sans recours à la monnaie est devenue possible. La "définanciarisation" de l'économie est donc en marche. Il est urgent de réfléchir à la manière dont nos modèles collectifs pourraient s'adapter à ces évolutions, faute de quoi certains pourraient prendre appui sur nos faiblesses pour remettre en cause l'édifice démocratique. 

 

                              Image hébergée par http://uprapide.com/

 

2. Les attentats de ces derniers jours.

Emmanuel TODD l'avait démontré il y a une dizaine d'années : la hausse du taux d' alphabétisation dans le monde arabe et la baisse du taux de fécondité prouvaient qu'à horizon 2000/2010, ces pays auraient accompli leur transisition démographique. Il avait ainsi prédit, bien avant tous les experts, l'explosion des printemps arabes, en particulier en Tunisie. Le risque était grand, si les sytèmes corrompus encore en place n'avaient pas évolué entre-temps, que cette explosion prenne des formes violentes. Cette prophétie s'est réalisée.

Personne ne pouvait contrôler ces évolutions ni prévoir quelle en serait la nature, démocratique ou totalitaire.  On a pu constater à quel point des populations alphabétisées et sans perspective d'avenir pouvaient constituer un terreau fertile pour les extrêmistes de tous bords.

L'Islam radical s'appuie sur des interprétations de textes vieux de plus de mille ans pour opposer un déni farouche aux évolutions de la société. Ce déni n'est pas loin de rappeler celui de nos dirigeants qui s'arcboutent à des idées passéistes au lieu de tenter de comprendre les transformations de la société. Comme nous l'évoquions dans un précédent billet, le libre échange échevelé et non encadré est source de chômage et d'inquiétude sociale fortes. Il jette les personnes les unes contre les autres, dans un "chacun-pour-soi" et un "sauve-qui-peut" généralisés, créant un repli sur soi et sur des valeurs communautaires sources de tous les dangers.

Partout, les gouvernements, au lieu d'affronter les vrais enjeux qui sont avant tout économiques, ont fui la difficulté pour se concentrer sur des débats périphériques qui ont renforcé les clivages (en France, le mariage pour tous par exemple). Ces débats, s'ils étaient importants, n'étaient pas pour autant priroritaires. Les mêmes causes produisent cependant les mêmes effets : les motivations des terroristes tunisiens, comme celles des terroristes français, sont principalement à rechercher dans l'angoisse des populations face à l'absence de perspectives et dans la mainmise des multinationales sur des richesses de plus en plus inégalement partagées. On peut dire sans risque de se tromper que le terrorisme est en quelque sorte l'enfant naturel de l'ultralibéralisme mondial et de la dérégulation. L'ultralibéralisme et la dérégulation n'ayant pas de patrie, le terrorisme n'en a pas non plus. Ce qui explique son implantation planétaire.

De la même manière que la nouvelle économie s'appuie sur des technologies digitales de plus en plus performantes et sans frontières, le terrorisme se fonde sur les mêmes bases et outils pour imposer son modèle. Le désarroi des populations lui sert de socle.

Un des remèdes à la montée des intégrismes serait d'aider les démocraties arabes comme la Tunisie à lutter contre la montée des inégalités sociales. Si les populations se sentaient intégrées, reconnues et trouvaient une insertion harmonieuse dans leurs pays respectifs, le terreau de l'intégrisme serait en partie neutralisé. Une autre action tout aussi indispensable consisterait à couper les sources de financements du terrorisme. Ce ne sont évidemment pas là les seules réponses à la poussée de l'intégrisme, lequel revêt bien d'autres caractéristiques. Mais ces deux démarches constituent un préalable indispensable.

Pas plus que pour le problème Uber et les nouveaux modèles économiques qui émergent, nos démocraties (représentées par leurs dirigeants) n'ont aujourd'hui de réponse à apporter sur le fond à la montée des intégrismes (comme à celle des extrêmes droites en Europe). Plutôt que de s'attacher aux causes, nos dirigeants ont choisi de ne traiter que des conséquences. Au lieu d'arrêter les pyromanes, ils se contentent d'éteindre les incendies de forêt. Avec un verre d'eau.

Crispée sur ses prébendes et ses privilèges, notre classe politique ne réfléchit qu'à court terme, celui de l'horizon de ses mandats électifs.

L'évolution rapide du monde actuel pourrait bien la surprendre dans son sommeil.

 

Max Alain Obadia et Jean Bernard Motte    

 

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F
Merci pour votre excellente analyse et la richesse de votre réflexion. Le rappel des visions anticipatrices de Todd est toujours le bienvenu. Je n’avais jusque là que quelques idées flottantes sur l’évolution du travail et des rapports marchands. Elles sont maintenant un peu plus structurées.
Reply
M
Bonsoir,<br /> Je vous avais répondu mais je ne vois pas apparaître ma réponse sur le blog. Il a du y avoir un bug !<br /> Je voulais vous remercier pour votre petit mot.<br /> Nous essayons, chaque fois que cela est possible, d'analyser les événements en profondeur et de ne pas rester à la surface des choses, comme cela est un peu trop souvent le cas de la presse. Un message comme le vôtre nous encourage à persévérer. Si vous avez des suggestions à nous faire ou si vous souhaitez écrire un article, ce blog vous est ouvert.<br /> Cordialement<br /> Mao